Décryptage du Livre Blanc « les 10 tendances incontournables qui vont bousculer la commande publique dès 2020. »

Selon l’Observatoire Economique de la Commande Publique, la commande publique représenterait environ 20% du PIB. Plus précisément, plus de 100 milliards d’Euros d’achat public ont été recensés par l’OECP en 2018 (hors achats <90 000€ HT) dont plus de 31 milliards pour les seules collectivités locales. Elle peut dès lors accompagner les politiques publiques au même titre que la fiscalité comportementale ou la politique budgétaire.
La Gazette des communes, des départements, des régions a publié un livre blanc (http://agorapublix.com/forum3/index.php?topic=36722.0 ) relatif aux pratiques d’achat qui tendent à se généraliser parmi les acheteurs publics locaux. 10 tendances sont ainsi présentées :
- Développement durable et performances environnementales
- Développement durable et performances sociales
- Coût global au lieu du prix
- Achats locaux et circuits courts
- Les produits innovants favorisés
- Portes ouvertes chez les acheteurs
- Développement de logiques du « tout en un »
- De l’automatisation informatique de la candidature à la facturation
- Catalogue électronique
- Référencement dématérialisé et système d’acquisition dynamique
Elles portent particulièrement sur la stratégie d’achat et les interfaces de gestion dématérialisées. Le document rappelle les sources juridiques, les principaux chiffres et propose quelques conseils pour prendre à son compte ces tendances de fond.
Cette analyse porte sur les quatre premières tendances, le volet dématérialisation tendant nécessairement à se généraliser hors de toute polémique (tendances 8, 9 et 10) tandis que les trois derniers développements (tendances 5, 6 et 7) constituent des techniques d’achat plus que des stratégies globales.
- Tendance 1 : Développement durable et performances environnementales
La commande publique doit-elle poursuivre des objectifs autres que celui de satisfaire son besoin au meilleur rapport qualité / prix ?
Cette question a déjà été posée en des termes prochespar le Conseil d’Analyse Economique (CAE) dans une note du 2 avril 2015 laquelle, à l’époque, avait suscité de nombreuses réactions. Ainsi, selon le cercle de réflexions composé notamment de Messieurs Jean TIROLE et Stéphane SAUSSIER (voirhttps://www.achatpublic.info/actualites/breves/le-cae-fait-des-recommandations-pourrendre-plus-efficace-la-commande-publique) « Charger la commande publique d’atteindre des objectifs sociaux, environnementaux ou d’innovation est inefficace ».
En effet, selon Jean TIROLE, ancien Prix de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, l’achat public ne peut suffire à lui seul à réduire ou à annihiler une externalité négative. Les opérateurs économiques pourraient réagir en se partageant les marchés et faire ainsi valoir leur avantage comparatif soit vers la commande publique soit vers la commande des autres agents économiques. L’intensité concurrentielle serait dès lors réduite et le coût pour l’acheteur public plus important. Autrement dit, l’acheteur public risquerait de payer chèrement son exemplarité.
Le livre blanc précise par ailleurs que « la performance environnementale est donc un créneau porteur pour emporter des marchés publics […] mais pour lesquels un opérateur peut clairement disposer d’un énorme avantage » ; avantage au point de proposer une offre financière déraisonnable notamment lorsque l’acheteur public exige une performance environnementale que seul cet opérateur peut atteindre.
Même si la question se pose toujours malgré les injonctions sociétales, la règlementation a tranché, leCode de la Commande Publique disposant dès son article L2111-1 que l’acheteur public détermine la nature et l’étendue de ses besoins en prenant en compte des objectifs de développement durable (voir https://www.achatpublic.info/actualites/info-du-jour/2019/12/18/environnement-et-marche-public-24517).
- Tendance 2 Développement durable et performances sociales
Sur l’intégration de considérations sociales dans l’acte d’achat, l’OECP comptait en 2018 17,4% de marchés clausés, statistique en nette évolution par rapport aux exercices 2015, 2016 et 2017 soit une augmentation d’environ de 7% environ.
Le livre blanc mentionne (ainsi à juste titre) que l’acheteur peut recourir à toute « une panoplie de dispositifs afin de favoriser tel ou tel type d’opérateur économique », notamment la réservation de marchés aux structures d’insertion ou de l’Economie Sociale et Solidaire.
Or, certains observateurs comme M. Dominique FAUSSER, experts de l’achat public, doutent de la pertinence des clauses d’insertion dans certains secteurs économiques comme par exemple celles qui ne permettent pas de maintenir des emplois stables à durée indéterminée. M. FAUSSER redoute ainsi que les entreprises qui souhaiteraient obtenir des marchés pour lesquels l’acheteur public intègre des heures d’exécution à l’attention de personnes éloignées de l’emploi seraient tentées de licencier ou de recruter via des contrats de mission. Il ajoute : « les clauses d’insertions sont donc contre-productives sauf lorsque le marché touche un secteur économique lui-même en expansion et qui peut alors absorber du contingent d’emplois précaires ». Cette tendance irait alors à contre-courant de la directive 2019/1152 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’UE qui prévoit que « la transition vers des formes d’emploi à durée indéterminée doit être encouragée ».
Les lecteurs les plus assidus du Moniteur se souviendront des tentatives d’intégration de clauses d’insertion pour des marchés d’ingénierie et de Maîtrise d’œuvre relatifs aux opérations du Grand Paris en 2012-13 ou sur une salle de musique à Toulouse. La Fédération Syntec craignait déjà à cette époque pour certaines sociétés la nécessité de devoir recourir au chômage technique partiel voir à provisionner durant l’exécution les pénalités liées à la clause (enquête Le Moniteur 8/11/13).
- Tendance 3 Coût global au lieu du prix :
Le livre blanc de La Gazette poursuit en consacrant l’émergence manifeste de l’analyse des offres en coût global (art R2152-7) pour tous les achats autres que les fournitures et services standardisés dont la variation est insusceptible de variation d’un opérateur économique à l’autre. Depuis les directives marchés de 2014, il ne s’agit donc plus d’une possibilité mais bien d’une exigence réglementaire.
L’acheteur ne recherche plus depuis bien longtemps le « moins disant ». Désormais il doit dépasser la notion de « mieux disant » à l’instant T pour contractualiser avec le soumissionnaire qui a proposé l’offre économiquement la plus avantageuse sur le long terme.
C’est bien par ce biais que l’achat responsable prend tout son sens comme le rappelait, dans une critique de la note du CAE précitée, Gérard BRUNAUD alors vice-président exécutif de l’Observatoire de l’achat responsable (ObsAR) (https://www.achatpublic.info/actualites/breves/achat-responsable-lobsar-egratigne-le-rapport-de-la-cae-17669). L’association critiquait alors l’approche du CAE en prenant en exemple la nouvelle définition de l’offre économiquement la plus avantageuse consacrée à l’article 67 de la directive 2014/24/UE : « L’offre économiquement la plus avantageuse […] est déterminée sur la base du prix ou du coût, selon une approche fondée sur le rapport coût/ efficacité, telle que le coût du cycle de vie, […] et peut tenir compte du meilleur rapport qualité/ prix, qui est évalué sur la base de critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux et/ou sociaux liés à l’objet du marché public concerné. »
Les auteurs de ce livre blanc conseillent dès lors d’« intégrer des indicateurs pertinents dans leurs offres ».
Or, comme l’ont rappelé récemment Maîtres Guillaume GAUCH et Romain MILLARD dans la revue Contrats Publics de décembre 2019, la monétisation du cycle de vie et notamment des externalités environnementales est difficile à appréhender pour les acheteurs publics qui ne peuvent s’appuyer sur des « méthodes de calcul communément admises ». On pourra toujours débattre de la méthode décrite dans l’arrêté du 22 mars 2019 pris en application de l’article R2172-38 du Code de la Commande Publique. Celle-ci ne faisant pas état par exemple des coûts environnementaux de fabrication et de recyclage des batteries des véhicules électriques, ni des coûts environnementaux de production d’électricité ou de transport des énergies fossiles jusqu’à la pompe. Déjà, la note du CAE soulignait ces « difficultés de mesure » pour recentrer l’objectif de la commande publique autour de la satisfaction du besoin de l’acheteur.
- Tendance 4 Achats locaux et circuits courts
Enfin, selon La Gazette, la tendance serait au localisme notamment grâce à la validation jurisprudentielle de la clause d’interprétariat, de la loi EGALIM en faveur des produits « bio » et du dispositif introduit par l’article 73 de la loi Egalité Réelle Outre-Mer applicable à titre expérimental depuis février 2018 pour 5 ans.
Pour rappel, les acheteurs ultra-marins peuvent réserver jusqu’à 1/3 de leurs marchés aux PME locales. Par « locales », la loi entend favoriser les organisations dont « le siège social ou l’établissement principal est localisé dans la collectivité ultra-marine dans laquelle le marché public a vocation à être exécuté ». Déjà 3 ans que la loi EROM a été promulguée et jusqu’alors, il ne semble pas que les acheteurs d’outre-mer se soient appropriés ce dispositif bien difficile à circonscrire.
Aussi, si les intentions présentées dans ces quatre premières tendances peuvent apparaître emplies de bon sens, il demeure nécessaire de garder à l’esprit que la commande publique doit d’abord permettre de satisfaire le besoin de l’acheteur. Atteindre cet objectif de manière robuste n’est assuré qu’en définissant des méthodes de calcul du coût global pertinentes. A cette fin, c’est encore une fois la professionnalisation des acheteurs, la mise en réseaux des meilleures pratiques et une certaine audace qui permettront de surmonter ce défi.
